Une récente étude de Statistique Canada, analysée par Henri Ouellette-Vézina dans son article paru dans La Presse le 24 juin 2025, dresse un constat préoccupant. Entre 2018 et 2023, le bénévolat a connu une baisse marquée au pays, tant en proportion de participation qu’en nombre d’heures consacrées. Derrière cette tendance, on observe à la fois une transformation des façons de s’impliquer et des freins structurels qu’il faut reconnaître.
À Montréal, comme ailleurs, le visage du bénévolat change. Et pour continuer à mobiliser, il faudrait d’abord bien comprendre ce qui se joue.
L’étude révèle entre autres que :
Ce tableau, bien que national, fait écho à ce que nous observons sur le terrain au Centre d’action bénévole de Montréal (CABM). Selon nous, cela est loin de témoigner d’un désintérêt généralisé, ces données pointent plutôt vers une transformation des attentes, des disponibilités, et des conditions d’engagement.
Des détails plus précis devraient être dévoilés sous peu ainsi que des résultats spécifiques par province. D’ici-là, voici nos réflexions et observations.
Trois principaux groupes en mutation
La baisse du bénévolat chez les femmes doit être analysée avec soin. Elle peut signaler une surcharge sociale qui les pousse à lever le pied, mais aussi un repositionnement vers des formes d’engagement plus choisies, équilibrées, et moins genrées.
Parmi les jeunes adultes, plusieurs d’entre eux jonglent avec l’instabilité professionnelle, des responsabilités familiales grandissantes, le coût du logement qui augmente et le besoin de cohérence avec leurs valeurs. Ils et elles recherchent des missions ponctuelles, flexibles, avec un impact tangible, ce que l’offre actuelle ne propose pas toujours.
Chez les aîné·e·s également, malgré une apparente stabilité statistique, on observe un certain retrait depuis la pandémie. Qu’il s’agisse de préoccupations liées à la santé, d’un désir de réorienter leur mode de vie, de répondre à des obligations familiales pour soutenir leurs enfants ou petits-enfants, ou encore de reprendre un travail rémunéré afin d’arrondir les fins de mois, plusieurs piliers traditionnels du milieu communautaire ne sont plus présents dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Des angles morts à considérer
Comme toute étude statistique, celle de Statistique Canada ne rend pas compte de toutes les réalités vécues sur le terrain. Certains enjeux sont peu visibles, mais cruciaux. Pensons notamment aux personnes nouvellement arrivées au pays, nombreuses sont celles qui souhaitent s’impliquer, mais se heurtent à des obstacles importants, reconnaissance des compétences, langue, statut migratoire, méconnaissance des codes du milieu communautaire, isolement social.
Il en va de même pour les personnes en situation de handicap, ou pour toute personne vivant une forme d’exclusion, qu’elle soit sociale, physique, culturelle, linguistique, économique, ou liée à des formes de discrimination systémiques (racisme, validisme, homophobie, transphobie, etc.).
Si nous voulons bâtir un milieu réellement inclusif, il est impératif de considérer ces réalités dans les solutions proposées.
Ce que nous voyons sur le terrain
Au CABM, nous constatons que l’engagement est aujourd’hui plus ponctuel ou de courte durée, souvent motivé par un besoin de cohérence personnelle et un désir de contribution directe.
Résultat : il n’est pas rare qu’un poste de bénévolat autrefois occupé par une seule personne pendant des années se divise désormais en deux ou trois micro-mandats, comblés successivement. Cela crée une pression constante sur les organismes, pris dans un cycle permanent de recrutement, de formation, et d’intégration.
Le défi est donc double, répondre à cette nouvelle réalité tout en préservant la capacité des organismes à accueillir, structurer, et soutenir ces formes d’engagement en transformation.
Or, cette évolution survient dans un contexte où les besoins des communautés augmentent, en santé mentale, en sécurité alimentaire, en accompagnement, en lutte contre l’isolement, etc, alors que les moyens des organismes stagnent ou diminuent. Le financement de base ne suit pas, les bailleurs sont de plus en plus exigeants et les postes dédiés à la gestion des bénévoles sont souvent précaires et les équipes sont à bout de souffle.
Les organismes cherchent de plus en plus des bénévoles spécialisés et les conseils d’administration se professionnalisent. Ces postes impliquent des attentes particulières et sont souvent plus difficiles à combler.
Au final, le déséquilibre fragilise notre filet social et rend la mobilisation d’autant plus urgente et complexe.
Les besoins évoluent, tout comme les motivations à s’engager
« La fibre sociale n’est pas éteinte pour autant. Les gens veulent encore s’impliquer, mais les besoins sont plus spécifiques, et les attentes différentes. »
Geneviève Fecteau, directrice générale du CABM dans La Presse, 24 juin 2025
Aujourd’hui, les bénévoles ne cherchent plus simplement à “donner du temps”, mais à vivre une expérience porteuse de sens, alignée avec leurs valeurs, qui leur permette aussi d’apprendre, de créer du lien et de s’épanouir. Leur engagement est plus ponctuel, modulable, parfois exploratoire. Il devient une démarche personnelle, qui doit pouvoir s’adapter à leurs disponibilités, à leurs capacités et à leurs aspirations.
Ce changement n’est pas un recul : c’est une évolution à accompagner avec agilité, empathie et créativité.
Des leviers pour répondre aux défis actuels
Au lieu de tenter de relancer la machine comme avant, nous croyons qu’il faut repenser l’environnement du bénévolat. Voici quelques pistes d’action :
• Adapter les pratiques, revoir les modèles de recrutement, alléger les tâches, proposer des missions modulables, et valoriser les contributions du quotidien,
• Rejoindre les personnes éloignées du bénévolat, et adopter des pratiques inclusives,
• Valoriser toutes les formes d’engagement, les 10 % de bénévoles les plus actif·ve·s comptent pour 61 % des heures, mais chaque contribution a sa valeur. Favoriser le lien d’appartenance et démontrer leur impact réel,
• Réanimer l’engagement collectif, en soutenant les initiatives citoyennes locales, les projets communautaires intergénérationnels, et en multipliant les occasions d’entraide informelle dans les quartiers, les écoles, les milieux de travail, ou les lieux de vie collective,
• Améliorer les programmes d’initiation au bénévolat pour les jeunes, en les rendant accessibles, attrayants, et alignés avec leurs valeurs et réalités,
• Miser sur l’innovation, notamment en soutenant le bénévolat d’affaires, où les employeurs et les milieux professionnels favorisent l’implication sociale de leur personnel. Il s’agit d’une réponse structurante, particulièrement efficace si l’engagement est reconnu, valorisé et facilité par des aménagements de temps concrets.
Ces leviers ne sont pas exclusifs, c’est leur combinaison réfléchie, adaptée aux milieux et aux populations, qui nous permettra de bâtir un avenir du bénévolat plus inclusif, durable et mobilisateur.
Des solutions collectives
Tout un écosystème est déjà à l’œuvre : le réseau des centres d’action bénévole, leur fédération, les regroupements communautaires et les organismes à but non lucratif (OBNL). Plusieurs ont déjà mis en place des stratégies efficaces.
À nos yeux, le bénévolat ne doit jamais être pensé en termes de concurrence. Il repose sur des valeurs de solidarité, de mise en commun et de justice sociale. Ce que nous observons, c’est un écosystème riche, composé d’organismes qui, chacun à leur façon, cherchent à s’adapter aux besoins des communautés et à rejoindre les citoyen·ne·s là où ils et elles sont.
Au CABM, nous croyons profondément que c’est par la collaboration, la concertation et la complémentarité que nous pourrons bâtir un environnement du bénévolat plus accessible, inclusif et durable.
La multiplication des canaux de recrutement ne nuit pas, selon nous, à l’engagement bénévole, au contraire, elle offre davantage de portes d’entrée aux personnes qui souhaitent entamer une démarche d’implication. Plutôt que d’opposer les approches, nous souhaitons favoriser le dialogue, le partage d’expertise et la mise en réseau des forces vives de notre milieu.
Un choix éditorial révélateur
La Presse a classé son article dans la section « Coût de la vie », ce qui en dit long. L’inflation, la précarité, la pression financière influencent de plus en plus la capacité des gens à offrir du temps, même lorsqu’ils en ont l’envie.
Le bénévolat n’est pas un luxe. Il est une ressource essentielle pour notre cohésion sociale, un facteur de mieux-être individuel et collectif, et un levier de transformation. Il est temps de le reconnaître pleinement, et d’en soutenir les conditions d’épanouissement.
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Vous êtes à Montréal et souhaitez en discuter ou adapter votre offre bénévole aux nouvelles réalités ? Contactez-nous à info@cabm.net
Pour trouver une offre de bénévolat à Montréal via notre site : www.cabm.net ou partout au Québec : www.jebenevole.ca
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Pour consulter l’article paru dans La Presse :
https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2025-06-24/cout-de-la-vie/le-benevolat-en-perte-de-vitesse.php
Pour consulter l’étude publiée par Statistique Canada :
https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/250623/dq250623b-fra.htm
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